Avec l'impact qu'a eu la Première Guerre Mondiale sur le monde et en particulier l'Europe, j'ai toujours trouvé étrange et injuste que le sujet ne soit pas plus régulièrement abordé au cinéma. C'est bien simple, la référence, c'est A l'Ouest Rien de Nouveau de Lewis Milestone, qui date tout de même de 1930 ! Nos cinéastes ont bien essayé de faire de bons films sur ce conflit, mais les rares essais n'ont pas vraiment marqué les esprits (à la limite on peut citer La Grande Illusion ou Les Fragments d'Antonin, mais ce ne sont pas vraiment des films de guerre). Il aura fallu attendre 2004 pour que Jean-Pierre Jeunet n'offre au cinéma Français son film incontournable sur la période avec Un Long Dimanche de Fiançailles, adapté du roman éponyme de Sébastien Japrisot.


En 1917 sur le front de la Somme, cinq soldats français sont condamnés à mort pour mutilations volontaires. Jetés par dessus le parapet de leur tranchée, les cinq hommes sont tués dans le No Man's Land, la zone située entre la tranchée française et la tranchée allemande. Trois ans plus tard, Mathilde une jeune bretonne continue de penser que son fiancé, qui faisait partie des cinq condamnés n'est pas mort. Elle décide alors de mener une enquête pour découvrir ce qu'il s'est passé dans le No Man's Land pendant cette nuit de 1917.


Mélanger le film romantique et le film de guerre, pour ma part ce n'est pas franchement une super idée (dois-je rappeler les séquences dégoulinantes de guimauve de Pearl Harbor où ça ira ?). Mais non seulement Jean-Pierre Jeunet va mêler ces deux registres, mais il va en plus y incorporer un peu de comédie et de thriller ! Un Long Dimanche de Fiançailles est ainsi un film assez unique en son genre car réussissant le pari fou de mêler habilement différents registres a priori difficilement compatibles. Le ton parfois comique du film sera même appréciable, car mine de rien l'histoire est sombre et violente, et ces quelques séquences légères (les scènes avec les bretons, le personnage de Dupontel, le running gag du facteur...) permettent de ne pas être sur les nerfs pendant deux heures. Car à l'époque j'avais été soufflé par la qualité de cette histoire : les nombreux flashbacks sont bien pensés et permettent de reconstruire le puzzle tout en conservant le mystère sur le dénouement, absolument imprévisible.
Autre aspect épatant du film : sa reconstitution de 14-18 et du Paris des années 20. Les séquences de guerre (nombreuses) offriront un spectacle explosif et sanglant et donneront une bonne idée de l'enfer qu'ont du traverser les combattants de l'époque (l'esprit des BD de Tardi n'est pas loin). Autant dire qu'en terme de réalisme, Olivier Marchal aura du mal à faire mieux avec son adaptation de la BD Notre Mère la Guerre ! Quand aux séquences ancrées dans le présent, la photographie en tons sépias aidera à nous plonger un siècle en arrière sans non plus tomber dans la surexposition. Bref le César de la meilleure photographie a été amplement mérité !
Enfin impossible de faire l'impasse sur le casting assez impressionnant que Jeunet a rassemblé ! Pensez donc : Audrey Tautou, Dominique Pinon, Tchéky Caryo, Gaspard Ulliel, Albert Dupontel, Jean-Pierre Daroussin, Julie Depardieu, Marion Cotillard, André Dussolier, Jodie Foster, Clovis Cornillac et tellement d'autres tous réunis dans un film de cette trempe, cela fait plaisir ! Tous sauront, parfois le temps d'une seule séquence donner vie à leurs personnages et à les rendre humains. Mais surtout Audrey Tautou est stupéfiante, et fait de Mathilde le personnage féminin le plus acharné et attachant de l'histoire du cinéma tandis que Gaspard Ulliel incarne à la perfection le jeune homme de 1917 plongé dans l'horreur des tranchées.. Marion Cotillard est elle aussi remarquable car glaciale de bout en bout (ce serait bien qu'on cesse de dire qu'elle est mauvaise actrice, son interprétation de Tina Lombardi suffit pour balayer cette affirmation). Pour finir avec les plus notables, Clovis Cornillac trouve là l'un de ses meilleurs rôles avec ce soldat futé et dur à cuire (et à tuer !) tandis que Dupontel est parfait en écumeur des cantines.
A la limite si je voulais pinailler je dirais que la bande son n'est pas toujours mémorable, mais ce serait vraiment histoire de trouver un petit pépin dans un fruit délicieux (p***** payes ta métaphore !). Je dois donc tirer mon chapeau à Jean-Pierre Jeunet qui a réussi le mélange parfait entre plusieurs registres sans que l'un de déteigne sur les autres, et qui a su démontrer qu'en France aussi on peut faire de grands films sur la Première Guerre Mondiale.
Ma note: ****